vendredi 30 mars 2018

Le féminisme et les hommes

Le féminisme, et tant que mouvement politique, se définit à travers les actes qui sont faits en son nom. Il est inutile de se référer à une définition du féminisme comme défense de l'égalité des sexes quand les tactiques du mouvement ont déjà inscrit dans l'imagination populaire un sens bien plus spécifique et contestable. Ce n'est pas pour autant qu'il n'y a pas de différences significatives au sein du féminisme ; mais le choix délibéré d'un nom implique que l'on assume l'histoire de lutte qu'il représente. Cette histoire est faite d'une succession de choix concernant à la fois les tactiques du mouvement et la théorisation de ses buts.
Un des plus fondamentaux, et des plus problématiques, est l'assimilation de l'égalité des sexes à une lutte des femmes contre la domination masculine.
Cette idée est maintenant si profondément ancrée qu'il devient difficile de voir comment il pourrait en être autrement : comment défendre l'égalité des sexes sans attaquer le « patriarcat » ?

Cependant dans la société occidentale, les hommes ne s'organisent pas pour défendre leurs intérêts collectifs contre ceux des femmes. De fait, les hommes ne forment pas un collectif. La société est atomisée en petites unités disparates : des individus, des familles, des groupes d'amis, quelques communautés qui subsistent dans les zones rurales et parmi les immigrés et leurs descendants immédiats. Dans les communautés, le patriarcat peut ou non exister suivant la culture locale, mais son extension est limitée par les frontières de cette communauté.
Dans cet état atomisé de la société occidentale, suggérer l'existence d'un collectif masculin est une théorie du complot parfaitement ridicule.

Même dans les communautés où quelque chose comme un patriarcat existe bel et bien, la façon dont les féministes manient ce concept est fondamentalement erronée. Fonder le féminisme sur une analogie avec la lutte des classes mène à l'illusion que les femmes pourraient, ou devraient, s'organiser collectivement pour s'opposer à la domination des hommes. C'est ignorer que, dans toute société, hommes et femmes sont inextricablement liés par le sang, le sexe et l'amour. En conséquence, non seulement est il impossible pour les femmes de combattre les hommes sans détruire l'essence même de la société, il est tout aussi impossible aux hommes d'opprimer les femmes sans le concours actif des femmes elles même. Si les mères n'étaient pas prêtes à transmettre à leurs enfants les normes sexistes de leur culture, le patriarcat ne pourrait pas survivre très longtemps. C'est pourquoi toute analyse qui se propose de séparer les hommes des femmes en tant qu'oppresseurs et opprimés est fondamentalement trompeuse.

Il n'y a qu'à voir le mélange de colère, d'incompréhension et de déni avec lequel des féministes, s'attendant à trouver un public réceptif, se confrontèrent à l'opposition de femmes musulmanes qui défendaient le port du voile comme un choix. Ces femmes croyaient sincèrement que le voile est la façon dont s'habille une femme qui se respecte, et que les autres se prostituent en s'habillant légèrement (la ressemblance avec la critique féministe de l'objectification est d'une ironie délicieuse).
Les féministes ont elles cru que le patriarcat ne se dotait d'aucune justification ?
Se sont elles laissées porter par leur discours dans lequel les femmes musulmanes sont des victimes attendant d'être sauvées par de charmants occidentaux ? Les femmes musulmanes ont rappelé aux féministes occidentales l'existence de leur volonté, de la façon la plus désagréable – en leur montrant à nouveau ce qu'elles avaient préféré oublier, que le patriarcat s'enracine dans un système de valeurs et non dans la force brute.

Si les féministes surestiment les tendances féministes des femmes, elles sous-estiment les aspirations égalitaires des hommes. Dans presque toutes les sociétés, les hommes ont des femmes, des sœurs, des mères qu'ils aiment et avec qui ils partagent leur vie. Dans ces conditions, pourquoi seraient ils plus rétifs que les femmes à l'idée d'égalité ?
Mais les féministes ont négligé les hommes dans leur activisme et en ont fait des adversaires en les rendant responsables de la subordination des femmes. Par un effet auto réalisateur, l'apathie ou l'hostilité de la plupart des hommes à l'égard du mouvement féministe a été vue comme la preuve qu'on ne pouvait rien attendre d'eux.

Comme les féministes ont conclu que l'homme opprime la femme, elles voient chaque incident dont une femme est victime comme faisant partie du motif général de l'oppression patriarcale. L'idéologie forme leur vision du monde et désigne certains événements comme porteurs de sens.

Il en est ainsi du viol, qui, bien qu'il soit universellement reconnu comme un crime méritant un séjour prolongé en prison, est encore considéré comme une expression du pouvoir masculin. Dans toute société, certains individus seront des criminels – il est naïf de penser que les comportements anti-sociaux puissent être éliminés. Cependant, le crime n'est pas l'acte d'un individu puissant – au contraire, c'est l'acte d'un individu essayant de s'affirmer d'une façon qui ne peut qu'entretenir sa situation au bas de l'échelle sociale. Ce qui donne au viol une allure systémique, c'est le grand nombre de ses victimes : quand jusqu'à 20% des femmes sont violées au cours de leur vie, la conclusion que le viol est une forme de la domination patriarcale semble s'imposer.

Pourtant, c'est une illusion. La raison pour laquelle le viol est bien plus répandu que d'autres crimes de même gravité n'est pas la « culture du viol », comme l'ont affirmé beaucoup de féministes. Derrière le concept de « culture du viol », il y a l'idée misandriste que le viol est un comportement répandu chez les hommes. La réalité est que très peu d'hommes sont des violeurs – à peu près 3%, selon les statistiques les plus fiables. La « culture du viol » est une illusion par laquelle une petite minorité de criminels paraît plus grosse qu'elle ne l'est, parce qu'elle est capable d'agresser un grand nombre de femmes.
Ainsi, le vrai problème du viol n'est pas que nous le tolérons moralement mais plutôt que nous sommes incapables de condamner ses responsables. C'est ce sentiment de fatalité, plus que du sexisme, qui se cache derrière bien une injonction à « s'habiller correctement ». Les raisons pour cette impunité sont liées à la nature du crime, qui repose sur un fait purement interpersonnel : l'absence de consentement. Tandis que la réalité d'un meurtre est indéniable, déterminer si un viol a eu lieu requiert de faire confiance à la victime plus qu'au suspect. C'est inacceptable, et pour de bonnes raisons, dans un système judiciaire fondé sur la présomption d'innocence et la notion que la culpabilité se doit d'être prouvée.

En conséquence, l'enquête est nécessairement intrusive. La tribunal doit déterminer qui de la victime ou du suspect est le plus digne de confiance. La nature invasive d'une enquête pour viol est précisément la principale raison pour laquelle si peu de victimes sont prêtes à se manifester.
Pour le suspect, il suffit essentiellement d'avoir de bons avocats pour échapper à la condamnation.

Cependant, les féministes ont tort de demander à ce que les victimes soient crues inconditionnellement. Elles fondent cette exigence sur le fait statistique que très peu de fausses accusations sont faites. Évidemment, si une accusation a peu de chances de réussir et un coût élevé en terme de publicité non désirée, comme c'est actuellement le cas, très peu de femmes vont s'amuser à porter de fausses accusations. Mais si les recommandations des féministes étaient suivies et que les femmes étaient toujours crues sur parole, le nombre de fausses accusations augmenterait sûrement de beaucoup. Une plainte pour viol deviendrait un moyen facile de détruire la vie d'un homme. N'importe quel individu sans scrupule pourrait le faire.

La situation actuelle comme cette alternative sont entièrement inacceptables. Une troisième possibilité doit être envisagée, afin que le viol puisse enfin devenir un crime ordinaire. Une part de la solution est donnée par la nature même du problème : le fait que les violeurs soient peu nombreux mais tendent à récidiver. Un moyen pourrait être donné aux femmes de dénoncer leur agresseur sans que ni la victime ni l'accusé n'aient à faire face aux conséquences d'un procès. Ceci permettrait à la police de constituer un fichier des violeurs potentiels. Une fois qu'assez de plaintes auraient été enregistrées contre un individu donné, celui-ci pourrait être interrogé, mis sous surveillance policière, intimidé et finalement amené devant le tribunal.
Une telle solution n'a rien d'idéal, ni en terme de justice pour les victimes de viol, ni en terme de respect des droits de l'accusé. Les victimes ne pourraient toujours pas obtenir que justice soit faite pour le crime qu'elles ont subi. Des hommes innocents pourraient encore être menacé d'une plainte à la police, même si la portée de cette menace en serait diminuée. Mais les femmes qui ont été violées trouveraient sans doute plus facile de porter plainte. Les fausses accusations seraient bien moins efficaces que si l'on faisait aveuglément confiance aux femmes. Les violeurs récidivistes finiraient derrière les barreaux. Une punition fiable en dissuaderait sans doute plus d'un.

Le patriarcat, tel une idole, a induit les féministes en erreur. Le viol est loin d'être le seul problème dont les causes réelles sont restées cachées derrière ce concept fourre-tout. Dans cette série de billets, je m'efforcerai de dissoudre l'illusion de la domination masculine et de montrer les impasses dans lesquelles elle a mené le mouvement féministe.

mercredi 28 mars 2018

Manifeste


Les discours qui dominent l'espace public et qui nous aident à interpréter la réalité cachent souvent plus qu'ils n'illuminent. Si l'on impute un événement à une cause, c'est souvent pour mieux oublier les autres facteurs qui y ont contribué. A tout discours, il semble qu'il y ait des faits insupportables.

Mais il ne s'agit pas seulement de faire du relativisme. Certaines des données les plus importantes de l'existence contemporaine restent dans la pénombre du déni collectif. Il en est ainsi de l'injustice et de la brutalité du monde du travail, de l'urgence écologique, et des valeurs.

Encore faut-il qualifier ces assertions – ce n'est pas qu'on manque de parler du travail, de l'environnement ou des valeurs, mais que ces discours ont quasi systématiquement un effet lénifiant et anesthésiant. Rien ne vient à bout de la rassurante tranquillité du quotidien. Les discours revendicateurs et complotistes nous déchargent de nos responsabilités en nous désignant un bouc émissaire, les discours optimistes nous assurent que des experts qualifiés vont se saisir du problème, et les discours alarmistes n'ont pour effet que de nous faire culpabiliser de notre propre passivité.

Ce blog a pour but de rendre visible la part d'ombre qu'on aimerait ignorer. Il a pour but, modestement, d'essayer de distinguer l'action qui sort réellement du cadre de celle qui ne fait qu'y prétendre.