Le féminisme, et tant que mouvement
politique, se définit à travers les actes qui sont faits en son
nom. Il est inutile de se référer à une définition du féminisme
comme défense de l'égalité des sexes quand les tactiques du
mouvement ont déjà inscrit dans l'imagination populaire un sens
bien plus spécifique et contestable. Ce n'est pas pour autant qu'il
n'y a pas de différences significatives au sein du féminisme ;
mais le choix délibéré d'un nom implique que l'on assume
l'histoire de lutte qu'il représente. Cette histoire est faite d'une
succession de choix concernant à la fois les tactiques du mouvement
et la théorisation de ses buts.
Un des plus fondamentaux, et des plus
problématiques, est l'assimilation de l'égalité des sexes à une
lutte des femmes contre la domination masculine.
Cette idée est maintenant si
profondément ancrée qu'il devient difficile de voir comment il
pourrait en être autrement : comment défendre l'égalité des
sexes sans attaquer le « patriarcat » ?
Cependant dans la société
occidentale, les hommes ne s'organisent pas pour défendre leurs
intérêts collectifs contre ceux des femmes. De fait, les hommes ne
forment pas un collectif. La société est atomisée en petites
unités disparates : des individus, des familles, des groupes
d'amis, quelques communautés qui subsistent dans les zones rurales
et parmi les immigrés et leurs descendants immédiats. Dans les
communautés, le patriarcat peut ou non exister suivant la culture
locale, mais son extension est limitée par les frontières de cette
communauté.
Dans cet état atomisé de la société
occidentale, suggérer l'existence d'un collectif masculin est une
théorie du complot parfaitement ridicule.
Même dans les communautés où quelque
chose comme un patriarcat existe bel et bien, la façon dont les
féministes manient ce concept est fondamentalement erronée. Fonder
le féminisme sur une analogie avec la lutte des classes mène à
l'illusion que les femmes pourraient, ou devraient, s'organiser
collectivement pour s'opposer à la domination des hommes. C'est
ignorer que, dans toute société, hommes et femmes sont
inextricablement liés par le sang, le sexe et l'amour. En
conséquence, non seulement est il impossible pour les femmes de
combattre les hommes sans détruire l'essence même de la société,
il est tout aussi impossible aux hommes d'opprimer les femmes sans le
concours actif des femmes elles même. Si les mères n'étaient pas
prêtes à transmettre à leurs enfants les normes sexistes de leur
culture, le patriarcat ne pourrait pas survivre très longtemps.
C'est pourquoi toute analyse qui se propose de séparer les hommes
des femmes en tant qu'oppresseurs et opprimés est fondamentalement
trompeuse.
Il n'y a qu'à voir le mélange de
colère, d'incompréhension et de déni avec lequel des féministes,
s'attendant à trouver un public réceptif, se confrontèrent à
l'opposition de femmes musulmanes qui défendaient le port du voile
comme un choix. Ces femmes croyaient sincèrement que le voile est la
façon dont s'habille une femme qui se respecte, et que les autres se
prostituent en s'habillant légèrement (la ressemblance avec la
critique féministe de l'objectification est d'une ironie
délicieuse).
Les féministes ont elles cru que le
patriarcat ne se dotait d'aucune justification ?
Se sont elles laissées porter par leur
discours dans lequel les femmes musulmanes sont des victimes
attendant d'être sauvées par de charmants occidentaux ? Les
femmes musulmanes ont rappelé aux féministes occidentales
l'existence de leur volonté, de la façon la plus désagréable –
en leur montrant à nouveau ce qu'elles avaient préféré oublier,
que le patriarcat s'enracine dans un système de valeurs et non dans
la force brute.
Si les féministes surestiment les
tendances féministes des femmes, elles sous-estiment les aspirations
égalitaires des hommes. Dans presque toutes les sociétés, les
hommes ont des femmes, des sœurs, des mères qu'ils aiment et avec
qui ils partagent leur vie. Dans ces conditions, pourquoi seraient
ils plus rétifs que les femmes à l'idée d'égalité ?
Mais les féministes ont négligé les
hommes dans leur activisme et en ont fait des adversaires en les
rendant responsables de la subordination des femmes. Par un effet
auto réalisateur, l'apathie ou l'hostilité de la plupart des hommes
à l'égard du mouvement féministe a été vue comme la preuve qu'on
ne pouvait rien attendre d'eux.
Comme les féministes ont conclu que
l'homme opprime la femme, elles voient chaque incident dont une femme
est victime comme faisant partie du motif général de l'oppression
patriarcale. L'idéologie forme leur vision du monde et désigne
certains événements comme porteurs de sens.
Il en est ainsi du viol, qui, bien
qu'il soit universellement reconnu comme un crime méritant un séjour
prolongé en prison, est encore considéré comme une expression du
pouvoir masculin. Dans toute société, certains individus seront des
criminels – il est naïf de penser que les comportements
anti-sociaux puissent être éliminés. Cependant, le crime n'est pas
l'acte d'un individu puissant – au contraire, c'est l'acte d'un
individu essayant de s'affirmer d'une façon qui ne peut
qu'entretenir sa situation au bas de l'échelle sociale. Ce qui donne
au viol une allure systémique, c'est le grand nombre de ses
victimes : quand jusqu'à 20% des femmes sont violées au cours
de leur vie, la conclusion que le viol est une forme de la domination
patriarcale semble s'imposer.
Pourtant, c'est une illusion. La raison
pour laquelle le viol est bien plus répandu que d'autres crimes de
même gravité n'est pas la « culture du viol », comme
l'ont affirmé beaucoup de féministes. Derrière le concept de
« culture du viol », il y a l'idée misandriste que le
viol est un comportement répandu chez les hommes. La réalité est
que très peu d'hommes sont des violeurs – à peu près 3%, selon
les statistiques les plus fiables. La « culture du viol »
est une illusion par laquelle une petite minorité de criminels
paraît plus grosse qu'elle ne l'est, parce qu'elle est capable
d'agresser un grand nombre de femmes.
Ainsi, le vrai problème du viol n'est
pas que nous le tolérons moralement mais plutôt que nous sommes
incapables de condamner ses responsables. C'est ce sentiment de
fatalité, plus que du sexisme, qui se cache derrière bien une
injonction à « s'habiller correctement ». Les raisons
pour cette impunité sont liées à la nature du crime, qui repose
sur un fait purement interpersonnel : l'absence de consentement.
Tandis que la réalité d'un meurtre est indéniable, déterminer si
un viol a eu lieu requiert de faire confiance à la victime plus
qu'au suspect. C'est inacceptable, et pour de bonnes raisons, dans un
système judiciaire fondé sur la présomption d'innocence et la
notion que la culpabilité se doit d'être prouvée.
En conséquence, l'enquête est
nécessairement intrusive. La tribunal doit déterminer qui de la
victime ou du suspect est le plus digne de confiance. La nature
invasive d'une enquête pour viol est précisément la principale
raison pour laquelle si peu de victimes sont prêtes à se
manifester.
Pour le suspect, il suffit
essentiellement d'avoir de bons avocats pour échapper à la
condamnation.
Cependant, les féministes ont tort de
demander à ce que les victimes soient crues inconditionnellement.
Elles fondent cette exigence sur le fait statistique que très peu de
fausses accusations sont faites. Évidemment, si une accusation a peu
de chances de réussir et un coût élevé en terme de publicité non
désirée, comme c'est actuellement le cas, très peu de femmes vont
s'amuser à porter de fausses accusations. Mais si les
recommandations des féministes étaient suivies et que les femmes
étaient toujours crues sur parole, le nombre de fausses accusations
augmenterait sûrement de beaucoup. Une plainte pour viol deviendrait
un moyen facile de détruire la vie d'un homme. N'importe quel
individu sans scrupule pourrait le faire.
La situation actuelle comme cette
alternative sont entièrement inacceptables. Une troisième
possibilité doit être envisagée, afin que le viol puisse enfin
devenir un crime ordinaire. Une part de la solution est donnée par
la nature même du problème : le fait que les violeurs soient
peu nombreux mais tendent à récidiver. Un moyen pourrait être
donné aux femmes de dénoncer leur agresseur sans que ni la victime
ni l'accusé n'aient à faire face aux conséquences d'un procès.
Ceci permettrait à la police de constituer un fichier des violeurs
potentiels. Une fois qu'assez de plaintes auraient été enregistrées
contre un individu donné, celui-ci pourrait être interrogé, mis
sous surveillance policière, intimidé et finalement amené devant
le tribunal.
Une telle solution n'a rien d'idéal,
ni en terme de justice pour les victimes de viol, ni en terme de
respect des droits de l'accusé. Les victimes ne pourraient toujours
pas obtenir que justice soit faite pour le crime qu'elles ont subi.
Des hommes innocents pourraient encore être menacé d'une plainte à
la police, même si la portée de cette menace en serait diminuée.
Mais les femmes qui ont été violées trouveraient sans doute plus
facile de porter plainte. Les fausses accusations seraient bien moins
efficaces que si l'on faisait aveuglément confiance aux femmes. Les
violeurs récidivistes finiraient derrière les barreaux. Une
punition fiable en dissuaderait sans doute plus d'un.
Le patriarcat, tel une idole, a induit
les féministes en erreur. Le viol est loin d'être le seul problème
dont les causes réelles sont restées cachées derrière ce concept
fourre-tout. Dans cette série de billets, je m'efforcerai de
dissoudre l'illusion de la domination masculine et de montrer les
impasses dans lesquelles elle a mené le mouvement féministe.
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